La Birmanie devant la CPI ?

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Le 11 novembre 2018, une plainte a été déposée devant la Cour Pénale Internationale accusant la Birmanie de génocide. Une mission internationale indépendante a examiné les accusations de violences commises depuis 2011 en Arakan, ainsi que les états Kachin et Shan. En septembre 2018, les juges ont approuvé la demande de Mme Fatou Bensouda, procureur à la CPI, de poursuivre la Birmanie et d’enquêter sur les événements survenus depuis 2016.

Quelles sont les accusations  contre la Birmanie ? Le 11 novembre 2018, la République de Gambie a déposé une plainte contre la Birmanie pour génocide. Depuis octobre 2016, l’armée birmane et les milices paramilitaires se sont lancées dans des opérations visant à éliminer les musulmans migrants du Bengladesh qui se nomment eux-mêmes Rohyngya, utilisant le viol, le meurtre, l’incendie des villages après avoir enfermé les habitants dans leur maison. Depuis 2016, les opérations se sont multipliées à grande échelle. Des organisations indépendantes ont enquêté et fourni des preuves quant aux violences commises dans le pays et demandé que soient prises des mesures par la Birmanie.

L’armée birmane sait à présent qu’elle peut être poursuivie malgré la constitution qui donne une totale immunité aux militaires pour leurs actes présents ou passés.

Aung San Suu Kyi se trouve piégée dans son rôle de Conseillère du gouvernement et de Ministre des Affaires étrangères. La constitution de 2008, minutieusement élaborée par les militaires donne à l’armée 25 % des sièges des deux assemblées, et les ministères les plus importants. L’armée compte officiellement 500 000 hommes mais ces chiffres sont à prendre avec précaution, comptant encore des personnes décédées ou ayant déserté. Les militaires sont tout puissants et ont mis la main sur l’économie. C’est un état dans l’état et, si Aung San Suu Kyi souhaite changer la donne, elle n’en n’a pas vraiment les moyens et n’a pas su utiliser sa majorité pour le faire jusqu’à présent.

Une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies a condamné le 27 décembre la violence contre les musulmans Rohingyas et les autres minorités ethniques. Depuis, Aung San Suu Kyi est parvenue à faire requalifier l’accusation en « crimes de guerre », mais quelle guerre ?

Violences en Arakan, un problème complexe

Sittwe, juin 2012. © C. Dutilleul

Souvent présentées comme des violences entre bouddhistes et musulmans, les violences qui ont démarré en mai 2012 sont le résultat de multiples facteurs, politiques, historiques, constitutionnels. Il faut remonter dans le temps et tenter d’en voir tous les aspects.

Le contexte :
L’Arakan, petit royaume limitrophe avec le Bengladesh, est devenu birman en 1784. Depuis des siècles, des migrants s’installent sur le sol birman, certains amenés par un roi victorieux, d’autres manquant de terres au Bengladesh il y a des générations.
L’immigration a augmenté ces dernières années ; les migrants, sans papiers, ne peuvent pas circuler et dans certains villages, ils atteignent 98 % de la population, situation qui crée des tensions.

La loi sur la nationalité de 1982 :
Le gouvernement militaire, à partir de 1962, développa une politique ultranationaliste. Les groupes ethniques minoritaires prirent les armes pour des droits que le gouvernement ne leur accordait pas et contrôlaient une partie du territoire. Le gouvernement rédigea en 1982 la loi sur la citoyenneté selon laquelle la nationalité Birmane n’était accordée qu’à certains groupes, présents sur le territoire avant la colonisation Britannique. Les autres devaient fournir des certificats sur plusieurs générations ; ceux qui ne pouvaient pas ou plus les fournir se retrouvèrent sans papiers et soumis à des tracasseries qui accentuaient leur précarité.
La constitution de 2008, écrite par des militaires, pour eux, préserve pour l’armée 4 des principaux ministères, dont celui de l’armée. 25 % des sièges des assemblées sont aussi réservés aux militaires. Elle accorde une amnistie totale aux militaires pour toutes les exactions passées ou futures. Les violences commises ne font donc l’objet d’aucune poursuite. L’armée reste tout puissante dans le pays, à tous les niveaux. De ce fait, Aung San Suu Kyi n’a pas beaucoup de marge de manoeuvre. Tant que la constitution ne sera pas modifiée, l’armée restera toute puissante et incontrôlable.

Dans la ville de Sittwe, entre mai et juillet 2012, tous les musulmans sans nationalité birmane ont été déplacés dans un camp à la sortie de la ville. Les quartiers musulmans ont tous été rasés. De nouvelles violences ont eu lieu en août 2017 à la suite de l’attaque par des rebelles de l’Armée du salut des Rohingya des postes-frontières. Il s’en est suivi une violente répression de l’armée birmane faisant plus de 1 000 morts selon l’ONU et menant au déplacement de centaines de milliers de personnes. On estime le nombre des Bengalis à 1,33 millions, pour une population birmane de 53 millions environ (2017). 1,08 millions d’entre eux vivent en Arakan et seulement 40 000 d’entre eux ont la nationalité birmane.

On 11 November 2018, a complaint was filed before the International Criminal Court accusing Burma of genocide. An independent international mission examined the allegations of violence committed since 2011 in Arakan, as well as in Kachin and Shan states. In September 2018, the judges approved the request of ICC Prosecutor Fatou Bensouda to prosecute Burma and investigate the events that have occurred since 2016.

What are the charges against Burma?
On 11 November 2018, the Republic of The Gambia filed a complaint against Burma for genocide. Since October 2016, the Burmese army and paramilitary militias launched operations against Muslim migrants from Bangladesh (called Rohyngya), using rape, the murder, burning of villages after locking the inhabitants in their house. Since 2016, operations have multiplied on a large scale. Independent organizations investigated and provided evidence of the violence in the country and called for action by Burma.
The Burmese army now knows that it can be prosecuted despite the constitution that gives the military complete immunity for their past and present actions.
Aung San Suu Kyi is trapped in her role as Government Advisor and Minister of Foreign Affairs. The 2008 constitution, carefully elaborated by the military, gives the army 25% of the two assemblies seats, and the most important ministries. The army officially has 500,000 men, but these figures are to be taken with care, still counting people who have died or who have deserted. The military are powerful and own the economy. It’s a state in the state and, if Aung San Suu Kyi wants to change the game, she does not really have the means and has not been able to use its majority until now. A resolution of the United Nations General Assembly on 27 December condemned violence against Rohingya Muslims and other ethnic minorities.  Since then, Aung San Suu Kyi has succeeded in having the charge reclassified as « war crimes », but what war? Violence in Arakan, a complex problemSittwe, June 2012. C. Dutilleulsouvent presented as violence between Buddhists and Muslims, the violence that began in May 2012 is the result of multiple factors, political, historical, constitutional. We must go back in time and try to see all the aspects.The context:The Arakan, a small kingdom bordering Bangladesh, became Burmese in 1784. For centuries, migrants have settled on Burmese soil, some brought by a victorious king, others missing land in Bangladesh generations ago. Immigration has increased in recent years; undocumented migrants cannot move and in some villages they reach 98% of the population, which creates tensions.

The 1982 Nationality Law
The military government, from 1962, pursued an ultranationalist policy. Ethnic groups took up arms for rights that the government did not grant them; they controlled part of the territory. In 1982 the government drafted the Citizenship Act according Burmese nationality to ethnic groups present in the territory before the British colonization.
The others had to provide certificates over several generations (almost impossible to get). Many found themselves undocumented what accentuated their precariousness.

The violence committed by the army
Under the military government, the army increased from 180,000 to more than 400,000 men and military spending increased considerably. The abuses committed by soldiers under Than Shwe were part of the system: soldiers acted with impunity.
The 2008 constitution, written by the military, preserves for the army 4 the main ministries, including that of the army. 25% of the seats in the assemblies are also reserved for the military. It grants full amnesty to the military for all past and future abuses. The army remains powerful in the country, at all levels. As a result, Aung San Suu Kyi has no room for manoeuvre. Until the constitution is changed, the army will remain all powerful and uncontrollable.
In the city of Sittwe, between May and July 2012, all Muslims without Burmese nationality were moved to a camp outside the city. The Muslim neighborhoods have all been razed. Further violence took place in August 2017 following the attack by Rohingya Salvation Army rebels at border posts. This was followed by a violent crackdown on the Burmese army, killing more than 1,000 people, according to the UN and leading to the displacement of hundreds of thousands of people.

The number of Bengalis is estimated at 1.33 million, for a Burmese population of about 53 million (2017). 1.08 million of them live in Arakan and only 40,000 of them have Burmese nationality.