Avant 1990

Ce fut le début des mouvements nationalistes qui se développèrent puis marquèrent un temps d’arrêt en 1942, avec l’invasion japonaise et la guerre. Lorsqu’en 1945, les Britanniques voulurent reprendre en main la gestion du pays, les mouvements nationalistes reprirent ; Aung San parvint à les fédérer, condition à la négociation d’un accord avec les Britanniques devant mener à l’indépendance. Il les réunit et obtint leur soutien à la Conférence de Panglong en février 1947, mais fut assassiné le 19 juillet 1947 avec pratiquement tous les membres du gouvernement de transition. L’indépendance fut déclarée le 4 janvier 1948, et un gouvernement civil mis en place. Mais la constitution ne reprenait pas les accords de la Conférence de Panglong, si bien que les groupes ethniques entrèrent en rébellion les uns après les autres. 135 groupes, composent la « mosaïque ethnique » birmane, soit environ 40 % de la population totale. Descendus au cours de migrations parfois antérieures à celle des Birmans, ils peuplent les territoires frontaliers montagneux entourant la plaine centrale majoritairement birmane, les groupes les plus faibles repoussés à la périphérie du royaume, au sommet des montagnes.

Ces territoires frontaliers devinrent le théâtre de la guerre froide. Le pouvoir Birman, à peine indépendant, dut faire face aux guérillas ethniques, mais aussi à celle du Kuomintang Chinois repoussé par les communistes sur le territoire birman et à l’insurrection communiste soutenue par la Chine. U Nu perdit le contrôle de la capitale et des zones frontalières et, une fois la capitale et les routes sécurisées, il lança une campagne de désinformation contre les Karen, fit jeter en prison le chef de l’armée birmane, Smith Dun, un Karen et déclara la KNDO illégale. Face à la birmanisation qui se mettait en place, les Karen furent les premiers à se lancer dans la lutte, suivis par d’autres groupes. Pour financer leurs actions, la culture et le commerce de l’opium explosèrent, tout comme le trafic frontalier et la corruption.
En 1962, alors que le gouvernement civil n’arrivait toujours pas à faire face aux rébellions ethniques, Ne Win prit le pouvoir par un coup d’état et mit en place le « Burmese way of socialism », nationalisant l’agriculture puis tous les secteurs de l’économie. Les États-Unis, par crainte du communisme et de l’extension du marché de l’opium, firent un don d’US $ 12 millions et de matériel (qui servit aussi contre les guérillas). L’industrialisation fut une nouvelle fois stoppée par les nationalisations : de nouvelles activités furent mises en place pour limiter les importations mais les matières premières manquèrent rapidement, et l’industrie se trouva en concurrence avec les produits importés de Chine.

L’isolement du pays ne permettait pas d’écouler les produits et entraîna la poursuite de la désindustrialisation. Les produits locaux furent écoulés sur la frontière et échangés contre les produits de Chine ou de Thaïlande. Le trafic engendra une inflation importante et mena à l’impression de monnaie sans lien avec la situation économique. Une première démonétisation eut lieu en 1965, destinée à assécher le trafic et le financement des guérillas ; elle pesa lourd sur la population. Les salaires ne suivaient pas et la situation s’aggravant, mena aux grandes manifestations de 1974 / 1975. Les militaires durcirent encore leur politique, provoquant le départ du pays du personnel qualifié ; puis deux nouvelles démonétisations suivirent, en 1985 et 1987 et les Birmans, qui gardaient chez eux leurs économies en raison d’un système bancaire corrompu, perdirent ce qu’ils possédaient. L’écrasement systématique de toute opposition et l’échec des politiques menées créé les conditions de l’organisation d’un mouvement pro-démocratie. La rigidité du socialisme, et la volonté de soumettre les groupes ethniques et l’opposition sont à mettre en parallèle avec la personnalité de Ne Win, Président de l’Union Birmane, entre 1974 et 1988. Obsédé par la numérologie et l’astrologie, il fit basculer le pays dans l’irrationalité. Les dates ou horaires de chaque événement dépendaient de chiffres déclarés favorables par son astrologue, menant, par exemple, à 3 démonétisations successives et la création de billets de 35, 45, 15, 75, 90 Kyats, qui firent monter la tension sociale.
Sur la question de l’intégration des groupes ethniques, la propagande de Ne Win mettait en avant l’unification du pays mais la seule méthode utilisée, la soumission par la force, n’amenait que le rejet de la population. Pour justifier son rejet de l’altérité (étrangers ou groupes ethniques), Ne Win s’appuyait sur les chroniques royales et présentait le groupe Birman comme les « descendants des Sâkya», lignée du Bouddha historique, leur donnant une supériorité symbolique.

Le gouvernement Birman, ultra nationaliste, rédigea en 1982 la loi sur la citoyenneté selon laquelle la nationalité Birmane n’était accordée qu’à certains groupes, présents sur le territoire avant la colonisation Britannique ; ceux qui revendiquaient individuellement la citoyenneté devaient fournir des certificats sur plusieurs générations, souvent impossibles à obtenir.
Cette loi engendra un rejet profond du gouvernement car les individus qui ne peuvent prouver leur présence sur le sol Birman sont, depuis cette date, considérés comme « hôtes » et ceux qui refusèrent d’être enregistrés comme tels, se retrouvèrent sans papiers et soumis à des contrôles et des tracasseries qui accentuaient leur précarité.

Les terres cultivables, qui avaient été nationalisée, furent à la fin du socialisme, en partie redistribuées à raison de 10 acres par personne, soit 4 hectares. Mais les paysans n’avaient pas le choix des cultures et devaient vendre les surplus au gouvernement, à prix très bas. La production baissa jusqu’à l’augmentation du prix d’achat du riz et l’annonce de l’ouverture du pays aux capitaux étrangers à la fin des années 80. Mais, là encore, le contrôle de l’État découragea les investisseurs. Les exportations chutèrent de moitié en volume entre 1960 et 1990, les importations augmentèrent et le déficit quasi nul en 1960, grimpa à US $ 4 milliards en 1990.

Après la répression des grandes manifestations de 1988, les étudiants rejoignirent les guérillas sur la frontière avec la Thaïlande et fondèrent le All Burma Students Democratic Front (ABSDF), luttant alors aux côtés des groupes ethniques contre le gouvernement. La contestation mena Ne Win à démissionner de son poste de Président de l’Union Birmane. Il restait le chef du Parti birman du programme socialiste (BSPP) et continuait à tirer les ficelles comme auparavant. Le 18 septembre, le gouvernement annonça la formation du State Law and Order Restoration Council (SLORC), formé de militaires chargés d’assurer le pouvoir jusqu’aux élections. Mais, là encore, malgré la victoire massive de la LND aux élections du 27 mai 1990, les militaires refusèrent de passer le pouvoir avant une nouvelle constitution. Pour donner à la situation une apparence de normalisation, le gouvernement annonça l’ouverture du pays au marché international ; mais le pays restait hors de toutes normes internationales, jonglant avec l’utilisation de 3 taux de change, de 6  à 1 000 Kyats (jusqu’à 1 300 en 2009) pour 1 $ (le taux de 6 Kyats pour 1 $ étant réservé aux généraux).

Si l’unification du pays fut l’objectif premier au moment de l’indépendance, très vite, Ne Win poussa à une birmanisation par la force, excluant ou soumettant. Les rebellions déstructurèrent l’organisation sociale : en plus des prélèvements de l’armée birmane (travail forcé, nourriture et fonds), les villages durent aussi fournir soldats, nourriture et impôt aux armées ethniques. Dans certaines régions, il devint impossible de cultiver en raison des combats, ce qui fit fuir les populations civiles. Partout, les salaires insuffisants des fonctionnaires et des soldats menèrent à l’intensification de la corruption à tous les niveaux.

L’armée n’a pas seulement pris le pouvoir sous Ne Win, elle s’est saisie de l’économie et des ressources ; la junte a mis en place un fonctionnement  bénéficiant aux officiers, à leurs familles et à leurs proches.