La pauvreté vue par les organisations internationales

 

 Photo Marchés d'Asie.

Photo Marchés d’Asie.

Qu’est-ce que la pauvreté ?
Les mesures de lutte contre la pauvreté sont étroitement liées à la définition qui en est faite et aux indicateurs utilisés. Les organisations internationales, bien qu’elles mettent, à présent, la pauvreté au cœur de leur discours, portent un regard essentiellement statistique sur le problème. L’indice de pauvreté absolue utilisé par la Banque mondiale retient le critère de revenu de 370 dollars par an (ou inférieur) ; est pauvre, celui qui gagne moins de 370 dollars par an, soit 1 dollar par jour ! Cette définition est contestée par beaucoup. Identique pour tous les pays, elle ne tient pas compte du contexte local, ni les biens acquis hors du marché.

La pauvreté vue par les institutions internationales

Retour en arrière :
À la fin de la seconde guerre mondiale, furent créées les Nations-Unies dans le but d’éviter de nouveaux conflits, complétées par les institutions de Bretton Woods  (FMI, Banque mondiale et OMC) : le FMI était censé prévenir les crises monétaires, alors que la Banque mondiale avait pour objectif la reconstruction de l’Europe. Une fois la reconstruction achevée, les Nations-Unies lancèrent la décennie du développement : FMI et Banque mondiale accompagnèrent les pays accédant à l’indépendance, avec des projets qui devaient les mettre sur la voie du développement, avec l’idée d’une croissance qui finirait par atteindre les plus pauvres. Cette vision fut très vite contestée par certains pays : ceux qui revendiquaient un partage de la croissance plus équitable. Cherchant à se protéger de l’influence des États-Unis et de l’URSS, créèrent, le mouvement des « Non-alignés » en 1955 à la conférence de Bandung (Indonésie). 

Les économistes eux-mêmes commencèrent à remettre en question le développement illimité, notamment avec, en 1972, le rapport du Club de Rome (« Halte à la croissance »  The limits to growth), écrit par des scientifiques, économistes, hauts-fonctionnaires, et industriels de 53 pays; les mouvements écologiques et altermondialistes émergèrent. On commença à parler de « développement durable » : une croissance économique répondant aux besoins du présent qui ne compromettrait pas celle des générations futures.  Lier croissance économique et environnement mena à l’organisation de conférences régulières et à l’adoption de protocoles sur le climat, la couche d’ozone de l’atmosphère, le changement climatique. L’ONU organisa le Sommet mondial du développement durable, qui rappelle la nécessité de lier le développement économique, social et environnemental.

Si l’environnement restait un sujet préoccupant pour les citoyens, les crises financières des années 80 se multiplièrent et le remboursement de la dette publique devint la priorité des États : FMI et Banque mondiale imposèrent leurs points de vue et leurs prêts furent conditionnés par la mise en place des programmes d’ajustement structurel. La lutte contre la pauvreté passait, pour les organisations internationales, par la recherche d’une croissance économique qui finirait par profiter à tous. (Berr, E., Combarnous, F., L’impact du consensus de Washington sur les pays en développement : une évaluation empirique, Université Montesquieu de Bordeaux IV, 2004, p 9/10). Les crises se suivirent, plus fréquentes et plus graves, provoquées par l’absence même des mécanismes de régulation censés être mis en place par le FMI ; certaines mesures imposées par le FMI contribuèrent même à la dégradation de la situation.

Encore aujourd’hui, la Banque mondiale définit toujours la pauvreté par un revenu inférieur à 1,25 dollar par jour et par personne. Le tableau ci-après fait apparaitre la variation du nombre de personnes pauvres dans le monde, selon le seuil de pauvreté ; il permet de dire que le nombre de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté avec moins de 1 $ par jour s’est réduit de 1,9 à 1,4 milliard entre 1981 et 2005. (Source http://www.worldbank.org/poverty/index.htm).

Nombre   de pauvres par région, en fonction du seuil de pauvreté – (en   millions)

 

1$

1,25$

1,45$

2$

2,50$

Asie   de l’Est et Pacifique

179,8

336,9

388,6

748,3

987,2

Chine   seule

106,1

207,7

216,5

473,7

645,6

Europe   de l’Est et Asie centrale

16

23,9

30,9

50,1

69,5

Amérique   latine et Caraïbes

27,6

45,1

59,9

98,7

132,9

Moyen   Orient et Afrique du Nord

6,2

14

23,2

58

94,3

Asie   du Sud

350,3

595,5

772,2

1091,6

1   246,4

Inde   seule

266,5

455,8

590,3

827,7

938

Afrique   subsaharienne

299,1

384,2

442

551

609,9

Total

879

1   399,6

1   716,8

2   597,8

3   140,2

Source : Banque mondiale, août 2008.   Policy Research Working Paper n°4703

 

 

 

 

 

 

 

 

 Ces chiffres méritent pourtant une remarque : d’une part un seuil de pauvreté, identique pour tous les pays, ne peut pas représenter la réalité du phénomène et d’autre part, baisser le seuil de 1,25 dollar à 1 dollar, et créer, ainsi, un seuil d’extrême pauvreté permet de présenter un chiffre positif : celui de la baisse de l’extrême pauvreté. Pourtant, en mettant ce seuil à 2,5 dollars par jour, montant à peine suffisant pour manger et envoyer les enfants à l’école, sans même parler de se soigner, dans la plupart des pays, on arrive alors trois milliards de personnes, soit près de la moitié de la population de la planète. Sous-estimer le seuil de pauvreté revient à minimiser le phénomène et à en limiter la lutte.

L’indice de développement humain (IDH), créé en 1990, évalue à présent le niveau de développement humain en intégrant l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie. L’indice repose sur des données d’organismes nationaux ou internationaux souvent révisées ; pour permettre de suivre l’évolution de l’IDH dans les pays, le PNUD recalcule ses chiffres passés à chaque rapport et valide les précédents. Les Objectifs du millénaire pour le développement (ODM) pour lutter contre la pauvreté fixés par l’ONU en 2000 prennent en compte l’impact des libertés civiles et politiques sur les performances économiques et mettent à présent en lien direct démocratie et réduction de la pauvreté. (Jorge Montaño montre que la fragilité du développement économique de nombreuses régions dans le monde pousse au développement d’activités illégales qui prospèrent là où elles ne sont pas combattues. En présence d’institutions faibles, la justice, l’emploi et la sécurité des plus faibles ne sont plus assurés et favorisent la pauvreté. (Source http://iresearch.worldbank.org).
Pourtant, pour le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD), six ans après l’adoption de la Déclaration du millénaire, aucune avancée notable n’avait eu lieu, montrant l’inefficacité des mesures mises en place par les organisations internationales. 50 pays, représentant 900 millions d’habitants, enregistraient un recul par rapport à au moins un des objectif et que 65 autres pays, représentant 1,2 milliard d’habitants, ne pourront pas atteindre au moins un des huit des Objectifs du millénaire avant 2040 !

Malgré les mesures imposées par le FMI, les crises se poursuivirent : en 2007, la crise des crédits immobiliers à risque aux États-Unis « subprime mortgages »), fit chuter les bourses, mit en faillite la banque américaine Lehman Brothers, et entraina le monde dans une nouvelle crise financière. Le ralentissement de la croissance mondiale, la hausse des prix alimentaires et pétroliers, pesant particulièrement sur les populations les plus pauvres. Malgré l’augmentation des rendements agricoles, la faim augmente par manque de volonté politique et en raison de la baisse de l’aide publique au développement. En 2012, la FAO estimait qu’un milliard de personnes dans le monde souffre de la faim, soit un individu sur 7 de la planète, un chiffre en augmentation.

En 2013, on parle de croissance à deux chiffres pour la Birmanie, reprenant ainsi les normes de développement des organisations internationales : limitant la croissance d’un pays à un taux statistique, misant sur une croissance qui, partant des plus riches, finira à profiter à tous, une définition pourtant remise en question. Pour Marchés d’Asie, être pauvre, c’est avoir un revenu qui ne permet pas à la fois de se loger, de se nourrir, de s’éduquer et de se soigner selon son choix, hors de tout seuil monétaire.