Birmanie 2015

Photo Marchés d'Asie

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Mainmise sur les ressources

Après les élections, les médias ont beaucoup parlé de ce pays qui s’engageait sur la voie de réformes démocratiques, puis se sont tus, et les touristes qui depuis longtemps, évitaient le pays, ont afflué…
Petit retour en arrière sur la mise en place d’un système économique de privilèges : les sanctions mises en place dans les années 90 par les pays occidentaux avaient pour origine les violations des droits de l’Homme et la répression des manifestations de 1988 par la junte. Isolé, le pays s’est tourné vers ses voisins, la Thaïlande et surtout la Chine. En quasi faillite mais riche en ressources, la junte a négocié des contrats d’armement ou de produits de consommation, contre des ressources : bois, gaz, pétrole, minerais… Incapables de gérer le pays, les généraux donnèrent à quelques hommes d’affaires proches, la possibilité de faire des affaires dont ils bénéficiaient en retour. Ces privilégiés ambitieux se lancèrent selon les opportunités : aviation, recherche pétrolière, construction d’hôtels ou logements de luxe, importation de voitures, infrastructures routières ou parfois, le commerce de l’opium, permettant un enrichissement exponentiel. Après les élections, 11 d’entre eux obtinrent une licence bancaire. Avec l’armée, ils tiennent dans leurs mains la quasi-totalité de l’économie du pays.

À l’autre bout de l’échelle, les plus précaires ne bénéficient d’aucun soutien : la mortalité infantile est très élevée dans certains groupes ethniques vivant dans les montagnes. L’accès à l’hôpital, censé être gratuit, nécessite de payer les médicaments, parfois aussi le médecin ; selon les Nations-Unies, entre 15 et 20 000 personnes meurent du SIDA chaque année sans accès aux soins. Le système éducatif est gratuit en théorie, mais les parents doivent fournir uniformes et fournitures, ce qui exclue bon nombre d’enfants. Malgré l’augmentation des salaires des enseignants, ils poursuivent le système des « tuition » donnant l’essentiel de l’enseignement contre paiement après les cours, maintenant ainsi un enseignement à deux vitesses.
Les augmentations de salaires des fonctionnaires destinée à limiter la corruption, ont fait grimper les prix des produits de première nécessité, mettant en difficulté les travailleurs du privé et du secteur informel

Après les élections, les experts des organisations internationales sont arrivés avec rapports, statistiques, courbes de croissance, évolution des prix. Tenant leur rang, ils se sont installés dans les hôtels et appartements hauts de gamme, faisant d’autant grimper les prix de l’immobilier ; la Croix Rouge paie un loyer de 80 000 $ par mois pour ses bureaux à un général.

L’aide arrive lentement : l’accès à l’eau, à l’électricité s’améliore. Le Président Thein Sein prévoit pour 2015 une croissance de 9,1 pour le pays. L’étude menée par les Nations Unies en 2009/2010 montrait un taux de pauvreté de 32 % de la population : des chiffres qui ne disent rien du vécu de la pauvreté. Une nouvelle étude démarre sous la direction de la Banque Mondiale. Quels que soient les résultats de l’étude, les plus pauvres le disent, les choses ne s’améliorent pas pour eux. Il n’est pas juste de dire que la croissance finira par atteindre les plus pauvres car il manque une volonté du gouvernement et le système de privilèges mis en place se poursuit. Il n’y a pour Birmans ni salaire minimum, ni soins gratuits, ni enseignement de qualité pour tous.

Les combats ont repris dans le Nord et l’Est du pays, le gouvernement cherchant à mettre la main sur les territoires où de nombreux projets ont démarré. Les revendications ethniques non prises en compte depuis l’indépendance persistent et l’unité du pays n’est pas aboutie. Il manque aux groupes ethniques minoritaires et au gouvernement central des valeurs communes pour construire la nation et la confiance. La constitution, rédigée par les militaires et pour eux, leur consacre 25 % des sièges au parlement et leur assure l’impunité pour toute exaction commise y compris passées. Les groupes ethniques dont certains revendiquent des droits depuis avant l’indépendance, doivent, selon la constitution, rendre leurs armes et placer leurs soldats sous contrôle de l’armée birmane. Les combats ont repris. En janvier 2015, les affrontements se poursuivaient entre l’armée Birmane et les armées Shan et Palaung dans la région de Chaukmè et Namsan. Pour financer ses actions, les armées Palaung et Shan, prélèvent un impôt sur chaque village, qui paie l’armement et la nourriture ; l’armée Birmane, elle, se sert dans les villages traversés. Les garçons quittent le pays pour éviter d’être enrôlés dans une des armées, les filles se réfugient dans les villes pour échapper au viol par les soldats birmans. Le gouvernement a proposé la signature d’un cessez le feu national le 12 février 2015 mais, sans discussions préalables, il est probable que certains groupes n’accepteront pas de signer.

À Sittwe, les 139 000 personnes déplacées  à majorité musulmanes sont toujours pris en charge par les Nations Unies, rassemblées dans un camp à l’extérieur de la ville. Plusieurs centaines d’Arakanais ont manifesté contre la recommandation des Nations-Unies d’accorder la nationalité aux musulmans originaires du Bengladesh. Près de deux ans après le début des violences en Arakan, la situation semble bloquée alors que.

De grands projets ont vu le jour, parfois négociés en grand secret, concertation avec la population. Des expropriations très importantes accompagnent ces projets qui bénéficient pourtant pour la plupart aux seuls pays voisins : le projet Shwe concerne l’exploitation du gaz et du pétrole ainsi que la construction du gazoduc et oléoduc entre la mer d’Andaman et Kunming au seul bénéfice de la Chine pendant 30 ans. Les nombreux barrages construits sur les fleuves birmans produisent presque exclusivement de l’énergie pour la Chine et la Thaïlande. Les familles expropriées en raison des gros projets se retrouvent à travailler comme journaliers pour d’autres ou viennent grossir les populations des grandes villes, sans travail ni logement.
L’exploitation des richesses se fait au détriment de l’environnement : à Pakhant, dans les mines jade où, malgré les manifestations, les machines continuent à dévaster la forêt, à Letpadaung, site d’exploitation du cuivre par une joint-venture entre Economic Holding Limited, propriété de l’armée birmane et une société chinoise, Wanbao, filiale de Norinco, fabriquant d’armes. En 2012 déjà, des manifestations ont été violemment réprimées. Le 22 décembre 2014, une femme a été tuée par balle et d’autres blessées par la police alors qu’elles protestaient contre de nouvelles saisies de terres. Le porte-parole de Wanbao a demandé une action immédiate du gouvernement et refuse de négocier le montant des compensations pour saisie des terres. Si le Président Thein Sein a pris la décision dès son investiture, de stopper le barrage très contesté de Myitsone, il manque des projets qui profitent à tous et un partage équitable des ressources du pays dans le respect minimal de l’environnement.
L’ouverture à la Chine, si elle a parfois permis le désenclavement de certains villages, a engendré aussi une accélération de la dégradation de l’environnement ; une moto chinoise coûte 200 $ et sera  vite amortie en faisant le va et vient entre le village et la ville. Avec les motos sont arrivées les tronçonneuses ; une déforestation totale est en cours, un moyen facile de gagner de l’argent en vendant le bois. De jeunes Chinois en moto font le tour des villages dans un va et vient incessant, récupérant orchidées sauvages ou animaux rares qu’ils vont ensuite revendre en Chine, tout près. Et, dans un cortège ininterrompu de camions partent de Birmanie vers la Chine produits forestiers et des fruits de qualité : tamarind, oranges, mandarines, papayes, pastèques… en contrepartie arrivent des  fruits chinois de basse qualité et des produits alimentaires générant une quantité énorme de détritus. Le pays entier devient une décharge.

Des élections sont prévues pour 2015. Mais l’armée reste très puissante ; le gouvernement doit encore faire la preuve de sa capacité à mener le pays vers l’unité et un développement partagé.